L’Italie est en train de traverser une période de crise sans précédent. Alors que sa population est entièrement confinée depuis le 10 mars, le nombre des morts a désormais dépassé celui de la Chine. Les structures hospitalières sont saturées, mais le pays a confiance dans son personnel soignant, comme en témoignent les messages aux balcons des habitations ou encore les banderoles de gratitude autour des centres hospitaliers, à l’initiative des groupes ultras.
Nombre d’entre eux se sont décidés d’aller au-delà de la rhétorique et de démontrer par des actes concrets leur volonté d’aider. Comment agir alors qu’il est impossible de se rassembler ? Les groupes de la péninsule disposent d’un sens de la mobilisation réel et possèdent des canaux de communication efficaces, à travers les réseaux sociaux notamment. C’est ainsi qu’ils ont fait rapidement comprendre à leurs membres et sympathisants la nécessité de rester confinés. En outre, l’entraide, le don et la solidarité sont des éléments fondamentaux du mouvement ultras.
Déjà, le 24 novembre 1985, les Brigate Rossonere et la Fossa dei Leoni de l’AC Milan, avaient donné cinquante millions de lires de l’époque à la Ligue Italienne pour la lutte contre les tumeurs. Les deux groupes ultras comptaient alors près de dix milles membres et ils avaient décidé de céder une grande partie de leur fond de caisse à cette association. Depuis, les exemples sont nombreux et confirment que l’engagement fait partie de leur philosophie, que ce soit lors de la guerre en Bosnie-Herzégovine au début des années 1990, lors du Tsunami dévastateur en Asie en 2004, ou encore lors du tremblement de terre à l’Aquila en 2009 qui ont vu une mobilisation sans précédent des groupes italiens.
Il est donc logique que les ultras réagissent à l’heure actuelle. L’épidémie de Coronavirus a frappé de plein fouet la Lombardie, et plus particulièrement la province de Bergame, qui est la plus touchée. Cette crise sanitaire arrive alors que le club bergamasque dispute une saison exceptionnelle. En effet, l’Atalanta a atteint le plus haut sommet sportif de son histoire, en disputant pour la première fois un huitième de finale de la Ligue des Champions. Le match retour, qui a eu lieu le 10 mars s’est déroulé dans une enceinte vide. Aucun tifoso de l’Atalanta n’a fait le déplacement en Espagne car le sens de la responsabilité a prévalu et ce malgré l’enjeu sportif. Tout était pourtant prévu, mille deux cents fans s’étaient déjà organisés sous l’égide des Atalanta Supporters – qui rassemble les ultras de la Curva Nord – et de l’Associazione Tifosi Atalantini pour partir à Valence. Chaque partisan de l’Atalanta avait dépensé cinquante euros pour se munir du billet de match.
La progression de la pandémie a contraint l’UEFA à imposer un huis clos, annulant de fait le déplacement et ouvrant la voie à un remboursement des billets. Les ultras de la Curva Nord saisissent alors l’occasion pour marquer le coup, comme l’explique Daniel, l’un des responsables des ultras : « l’idée nous est venue lorsque nous nous sommes organisés pour nous faire rembourser les billets de stade. Nous étions déjà confinés chez nous, et en parlant entre nous, nous avons proposé aux gens qui avaient réservé leur billet de stade par notre entremise, de donner cette somme à l’hôpital de Bergame ». Il poursuit : « Après avoir soumis l’idée il y a eu un appui total des supporters. À peine avons-nous reçu l’argent que nous avons fait ce virement de quarante mille euros à l’hôpital local ». À cette somme, il faut rajouter vingt mille euros supplémentaires, via l’Associazione Tifosi Atalantini, qui ont décidé d’imiter les ultras et de faire de même. « C’est donc une initiative qui a été reprise par l’ensemble des fans de l’Atalanta et qui est dédié à un département spécifique de l’hôpital Papa Giovanni de Bergame qui s’occupe de l’urgence lié au Coronavirus » comme le précise Daniel.
« Les gens nous connaissent, il y a onze ans, lorsque que le tremblement de terre a détruit l’Aquila, nous sommes partis sur place et les avons aidés économiquement, mais aussi humainement ». Selon lui « les supporters bergamasques ont réagi de la sorte, car ils savent que dans notre virage c’est un devoir de faire du bien. Car lorsque tu as la possibilité de rassembler autant de gens, il suffit de peu pour faire beaucoup. C’est une responsabilité que l’on endosse volontiers ». Il poursuit : « la situation ici est terrible, nous avons eu des messages, des gestes de solidarité de la part de nombreux ultras parfois même de rivaux, qui nous ont demandé comment nous aider. Cela démontre la profondeur des valeurs du monde ultras, lorsqu’il y a ce type de situation tout passe au second plan ».
Cependant, dans la province la conjoncture reste dramatique, « à l’heure actuelle, nous sommes tous enfermés à domicile. La situation est extrêmement délicate, il faudra des semaines pour que cela s’améliore. Il faut s’armer de patience, avoir confiance, respecter les règles pour éviter que la contagion augmente. Dans certains villages nous avons eu plus de morts en dix jours qu’en une année ». Alors que je parle avec Daniel au téléphone, la sirène d’une ambulance se fait entendre. Il conclut notre conversation : « les uniques bruits que l’on entend en ce moment ce sont ces sirènes et la sonnerie du glas qui annoncent les décès. Mais nous sommes forts et nous ne baissons pas les bras ».
À une cinquantaine de kilomètre plus à l’ouest, se trouve la province de Côme. Bien que moins impactée que la ville de Bergamo, la cité sise sur le célèbre lac est également mise à dure épreuve par le Coronavirus. Les ultras de l’équipe locale, qui évolue en série C, ont organisé une initiative originale. Comme l’explique Federico, l’un des responsables de la Curva Como 1907 : « au regard de l’urgence sanitaire en cours, avec l’hôpital Sant’Anna de Côme qui est en première ligne depuis le début de l’épidémie, il nous semblait important d’aider de manière concrète, en impliquant l’ensemble des tifosi de notre équipe. Avant tout, nous avons accueilli avec un grand plaisir l’initiative du club de donner la totalité du remboursement des abonnements à l’hôpital ». En effet, les dirigeants du Como Calcio ont décidé que les supporters qui ne demanderaient pas le remboursement de leur abonnement pour les matchs disputés à huis clos de l’offrir à la structure hospitalière tout en la doublant, s’engageant à donner au minimum la somme de cent mille euros.
Les ultras locaux ne comptaient pas uniquement sur cette initiative car « lors des dernières années, nous avons toujours cherché à aider, selon nos moyens, que ce soit auprès de l’ABIO de Côme (association qui aide les enfants hospitalisés) en récoltant des centaines d’animaux en peluches, ou encore en soutenant l’ADMO (Association des Donneurs de Moelle Osseuse). Nous avons décidé de profiter du derby contre Lecco, au moment crucial de l’expansion de l’épidémie ». Le 15 mars devait se disputer le match le plus attendu de la saison. Celui-ci a été reporté, ce qui n’a pas empêché, les ultras de la Curva Como 1907 d’organiser le déplacement à Lecco.
« Cela nous semblait original plutôt que de demander aux supporters de faire un don à l’hôpital de lier ce geste de solidarité avec cette rencontre fondamentale qui allait voir un grand nombre de tifosi de Como se déplacer ». Ainsi, sur les réseaux sociaux, comme pour n’importe quel déplacement, les ultras diffusent un prospectus où ils demandent aux supporters à se mobiliser pour le derby en payant vingt euros. Mais cette somme, au lieu de servir à payer le train pour se rendre à Lecco, la Curva Como 1907 a « invité les supporters à la virer sur le compte de l’hôpital ».
Au sud de la Lombardie, dans la région limitrophe de l’Emilie-Romagne, la situation est également compliquée, faisant de la zone le deuxième foyer du virus. À Reggio Emilia, dont l’équipe évolue en série C, les ultras locaux se sont mobilisés, comme me l’explique l’un des responsables des Teste Quadre. Il tient à me préciser en préambule : « nous sommes un groupe ultras et nous sommes fiers de cela. Nous ne sommes pas novices dans ce type d’initiative. Au contraire, face aux catastrophes naturelles, nous nous sommes toujours organisés pour aider concrètement les victimes en faisant arriver des biens de première nécessité, en récoltant de l’argent ». Il poursuit : « en face de la gravité de la situation, nous nous sommes spontanément organisés avec le Gruppo Vandelli. Unissant nos forces nous pouvions obtenir un résultat plus grand ».
Le 11 mars les deux groupes lancent l’initiative en mettant chacun trois mille euros de leur fond de caisse, puis ils se fixent un délai d’une semaine. « Nous avons obtenu 41.994 euros, nous avons décidé de donner la totalité de cette somme au département de thérapie intensive de l’hôpital Santa Maria Nuova de Reggio Emilia car l’ensemble du personnel sanitaire fait des sacrifices immenses pour la collectivité ». Pour ce responsable des Teste Quadre : « c’est une grande satisfaction car les tifosi de la Reggiana ont très bien répondu à nos sollicitations. Ils ont apprécié l’initiative, nous transmettant des messages confirmant leur confiance en nous. Ce qui n’est pas évident à l’heure actuelle, avec la répression qu’il y a contre les ultras en Italie. Les gens nous connaissent pour ce que nous sommes vraiment et ils ont répondu par les faits. Il y a eu des donations importantes, aussi bien d’entreprises que de simples citoyens. Chacun a fait selon ses moyens et ses choix, mais avec le cœur et c’est ce que nous voulions et nous l’avons obtenu ».
À Bologne, dans le chef-lieu régional, il n’y a pas qu’une équipe de football importante qui a remporté à sept reprises le championnat, mais également la Fortitudo et la Virtus qui évoluent en Lega Basket série A et qui font que la ville est également dénommée « basket-city ». La rivalité entre les ultras des deux équipes de basket-ball est véhémente et le derby marque un temps fort de la saison. Mais la crise sanitaire liée au coronavirus a également interrompu le championnat de basket-ball. Ce qui n’a pas empêché la Fossa dei Leoni de prendre une initiative, comme le révèle Frollo, l’un des responsables de ce groupe ultras qui soutient la Fortitudo. « L’idée nous est venue à un moment où nous étions encore en contact, en voyant la situation s’aggraver en Italie et en tentant de sensibiliser l’opinion à propos des gens qui combattent le coronavirus. Nous avions un rendez-vous important en avril, avec la seconde manche du derby et nous avions déjà commencé à travailler sur la scénographie. Nous disposions d’un budget pour la financer et nous avons décidé de destiner les fonds de ce spectacle comme donation à l’hôpital Sant’Orsola ».
À l’instar des autres groupes ultras qui se mobilisent, la Fossa dei Leoni ne voulait pas d’intermédiaires et ont fait ce choix en toute connaissance de cause. « Cet hôpital dispose d’un centre de thérapie intensive et nous avons des connaissances au sein de cette structure à travers le groupe que ce soit un médecin et des infirmiers. Il était utile que nous connaissions quelqu’un au sein de la structure ». Frollo tient à me préciser : « le but de notre initiative n’était pas de nous mettre en avant, mais plutôt de faire un geste qui pourrait pousser d’autres personnes à donner. Nous avons un certain suivi, nous dirigeons un virage qui compte mille-cinq-cents personnes et nous jouissons aussi d’un grand respect à Bologne. Ce geste pouvait donner à d’autres personnes des idées. Cette somme n’est pas considérable, mais elle représente tout de même quelque chose. Les Bergamasques ont donné bien plus. L’hôpital nous a remercié pour ce geste, mais le but n’était pas d’obtenir de la publicité ».
Bien que l’Emilie-Romagne soit moins présente dans les médias étrangers la conjoncture n’en est pas moins sinistre. Selon Frollo « comme groupe, nous vivons cette période avec angoisse. C’est une situation que nous ne connaissons pas et nous pouvons juste rester à notre place et aider en tentant de comprendre les exigences du personnel sanitaire qui est en première ligne. La situation n’est pas bonne, nous avons aussi notre « Codogno » (la première ville touchée par le Coronavirus en Italie et qui fut mise en quarantaine), depuis le 16 mars avec Medicina. Celle-ci se trouve aux portes de Bologne et elle est en zone rouge d’où personne ne peut rentrer ou sortir. Nous avons d’ailleurs plusieurs personnes de notre groupe qui viennent de cette ville, tu peux donc imaginer notre état d’esprit. Nous tentons de leur remonter le moral en leur téléphonant, mais nous savons très bien que ce n’est pas facile car la menace est élevée. Nous vivons donc cela au jour le jour. De plus, certains sont infirmiers dans le groupe et ils courent également des risques ». Enfin, pour Frollo : « l’initiative que nous avons lancé est la première, mais si il y a besoin d’aider de nouveau, en tant que groupe nous le referons ». C’est ainsi que dans une situation de crise sans précédent, les ultras révèlent qu’ils sont encore et toujours disposés à être en première ligne, pour le match le plus important que dispute l’Italie depuis plusieurs décennies.
fonte : https://www.lemonde.fr/
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